mercredi 29 juin 2011

Karma… «And you, what are you looking for ?»

Trajet en voiture de Tirta Gannga à Munduk (petit village central à Bali). Le chauffeur évoque la spiritualité hindoue et nous échangeons gaiement pendant quelques kilomètres sur les cérémonies et les divinités. Puis viennent les discussions plus profondes sur le karma et ce que cela signifie dans la vie quotidienne, l’importance de faire le bien, pour soi et ses enfants, la réincarnation, l’impact des gestes et des actions, le sens de la vie pour les Hindous.


Et soudain, il nous demande « And you, what are you looking for ? »

Silence vaguement consterné dans l’habitacle. Ce qu’on cherche, vous voulez dire là maintenant tout de suite, le prochain hôtel, une nouvelle excursion à Bali ? Non ? Ah, vous voulez savoir quelle est notre quête spirituelle, ce qu’on recherche dans notre vie ? Re-silence, suivi de quelques vagues bafouillis… Le chauffeur remarque « Sorry, it’s maybe a question a little bit too sophisticated ». Non, ce n’est sophistiqué, c’est juste qu’on ne sait pas exactement en fait, en tous les cas, beaucoup ne savent pas vraiment, on vit, on profite et un jour on se pose des questions … Je me lance finalement dans une réponse improvisée de ce que j’imagine être une des réponses occidentales possibles

« Chez nous, nous sommes élevés dans un objectif de réussite professionnelle, un moule capitaliste mélangé à des valeurs traditionnelles, le mariage et les enfants. (En même temps que je lui parle je réalise à quel point tout ceci est fragile et ne correspond pas à la réalité, aux réalités, il y a de plus en plus de célibat et les mariages se cassent la gueule, mais je ne peux pas tout dire, alors je caricature). Mais aujourd’hui, la crise économique a donné naissance à des problèmes, les choses ne fonctionnent plus très bien, cela devient difficile. (Je visualise pendant que je gesticule dans la voiture : crise identitaire, stress, dépression, manque de rêves ?). Les gens commencent à se poser des questions et veulent apprendre à vivre mieux, à partager, à respecter la nature. En tous les cas, ils essaient, mais c’est difficile car on est plutôt égoïstes, et c’est pour cela qu’on vient peut-être ici, en Asie, pour apprendre et comprendre votre vision des choses et s’imprégner de votre spiritualité… »

Tout ça dans un anglais approximatif, depuis le fond de la voiture, entre deux nids de poule, quelques klaxons et coups de volant pour éviter les enfants à vélo et les chiens errants le long de la route. Le chauffeur ne répond pas directement mais il sourit, je le vois dans son rétroviseur et on continue d’évoquer les coutumes locales, sur fond de karma.

Le lendemain, on part faire une nouvelle excursion à pied pour découvrir les plantations de vanille, de café, de clous de girofles et de riz autour de Munduk, avec un guide qui s’appelle Dharma. Il marche lentement et chacun de ses gestes est doux, tranquille. En bonne suisse, je trouve qu’il pourrait mettre la deuxième, mais finalement pourquoi ? Pour la performance ? Le voilà qui me fait sentir et goûter un grain de cacao que je n’avais même pas vu. Il évoque aussi le karma et nous montre la petite maison de sa belle-famille, à l’abri du bruit et du monde, « so peacefull ». Il nous propose d’ailleurs de s’arrêter pour déguster un café et un cake à la noix de coco et au sucre de palme, enroulé dans une feuille de palmier. Plusieurs femmes sont en train de préparer des offrandes. Le sourire et l’accueil sont magnifiques, simples, naturels. J’aime ces gens, cette terre, ces regards chaleureux.

(J’en oublie presque Timo qui a mal au ventre, le pauvre, une vilaine gastro, et Arno qui rouspète un peu dans la montée, d’ailleurs le guide le porte sur son dos, motivé cet homme-là). Les yeux ouverts sur fond de pensée karmique, le mollet guilleret, le sourire au coin des lèvres, les yeux dans les rizières, chacun profite de la beauté et de la sérénité du lieu. Dans ce contexte, la montagne, le guide, le voyage, on se sent subitement en harmonie profonde avec cette manière de penser et de vivre (qui ne le serait pas dans le fond ?).

Mais le soir, dans mon lit, je réalise que je suis concrètement bien loin de cette profonde bienveillance. Quand je pense à tout ce que j’ai fait de nul, de bête et méchant dans ma vie (j’avoue avoir régulièrement voulu vendre mes enfants sur Ricardo et rapporter mon mari au magasin, sans compter les ragots colportés au boulot, les engueulades et la fois où j’ai étranglé un petit garçon dans la cour de l’école quand j’étais petite et je vous épargne le reste de mes mauvaises actions), je crois que j’ai bien foiré ma réincarnation. Mes enfants risquent bien de revenir sous forme de hannetons à cause de moi et je trimerai sûrement comme une fourmi… Et est-ce que les mauvaises pensées comptent ? Parce que là ce serait le pompon. Si vous saviez parfois les horreurs qui me passent par la tête…

Mais comment font-ils ? Je suis subjuguée par le sourire des femmes et la gentillesse des gens, les enfants ne se bagarrent même pas, jamais de cris, de disputes ? Et nous, pourquoi on n’y arrive pas ? Et où sont les cinglés ? Yves me dit tout à l’heure qu’un violeur fou s’est échappé vers Neuchâtel et que 100 policiers le traquent. (Carole ma chérie, planque tes filles, c’est vers chez toi !) Y a-t-il ici autant de déviances et d’agressions que chez nous ? Il va falloir investiguer encore un peu pour comprendre, pour saisir ce qui flotte dans l’air et qui rend les gens aussi sereins. J’avais déjà eu ce genre de sentiments au Laos, comme dans tous les endroits peu touristiques que nous avons eu la chance de visiter.

Impossible bien sûr de devenir bouddhiste ou hindoue demain matin, la question n’est pas là, l’idée est plutôt de développer le plaisir d’être ensemble, de partager, construire une éthique humaine et sociale et lâcher certaines conneries de nos vies actuelles, genre la consommation à outrance et le « toujours plus vite » au boulot. Prendre le temps avec ceux qu’on aime. Acheter moins et mieux. Respecter le plus souvent possible la théorie écolo des 4 R : réduire, recycler, réparer, réutiliser. Sans devenir une vieille baba cool poilue qui joue de la flûte, ne pas se faire du mal avec des objectifs inatteignables et stressants. Etc., etc. De la théorie, bien sûr . Facile quand on vient de passer une année les doigts de pied en éventail…

D’ailleurs, les personnes que je harcèle avec mes grandes envolées lyriques de voyageuse romantique déconnectée de la réalité du quotidien me disent qu’en moins d’une semaine je serai revenue au système et que tout ceci sera bien vite enterré.

Peut-être. J’espère néanmoins garder au fond de moi un peu de cette lumière qui fait briller les rizières le matin et les yeux des gens d’ici. On peut rêver, non ?

Photos de notre balade dans les environs de Munduk avec Dahrma

10 commentaires:

  1. Je trouve que tu fais plein de belles choses, sans t'en rendre compte.
    Tu es toujours là pour tes amies, tu es d'excellents conseil et toujours à l'écoute. ta bonne humeur et toujours commincative.
    Meme si tu veux vendre tes enfants et rendre ton mari, regarde la magnifique année que vous avez vécu tous ensemble... Et à chaque fois tu te rends compte que tu les aimes un peu plus.
    Je pense qu'il n'y a pas toujours besoin de tomber dans l'extrême mais de faire chaque jour une action qui nous donne le sourire ou qui rende heureux quelqu'un.. c'est déjà énorme non?

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  2. @ Aless: je t'aiiiiiiiiiiiiiiiimmee, merci, t'es un amour et oui tu as raison, pas besoin d'extrême, un peu chaque jour, bisoux à tout bientôt :-)))

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  3. Ô la vilaine!!! Mais j'ai l'impression que tu peux tout te faire pardonner avec ton sens de l'humeur. Rien que pour ça, j'envie de futurs collègues! ;)

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  4. On garde toujours en soi une part de ce rêve devenu réalité le temps d'un instant, d'un moment...
    Oui, on se fait happer rapidement, voir très rapidement, Paléo vous attend et ce sera la plongée dans le quotidien des autres, mais l'éclat au coin de l'oeil et les rêves au fond de la tête ne partent plus jamais...

    A notre retour, je me suis sentie déconnectée un peu, au début, car je n'ai pas recommencé à travailler de suite, mais David si et la vie occidentale reprend ses droits bien plus vite que le temps qu'il a fallu pour la mettre un peu de côté dans un coin du cerveau !!!

    On peut regretter de replonger si vite dans le quotidien, mais il est là et c'est aussi notre vie. Mais pendant longtemps, on garde certains réflexes acquis durant cette expérience, je continue par exemple, à baisser le volume d'eau de ma douche, après l'avoir reglée, et ce, 10 ans après...

    Allez, à bientôt, bon voyage de retour et bamboulezzzzz
    Biz Xela

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  5. @ Michalea: presque tout ;-) le retour pro ? argh, va falloir se remettre les pendules a l'heure - dans tous les sens du terme...! Bises de Bali
    @ Xela : merci pour ton message il me rassure et me fait du bien, je t'embrasse bien fort

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  6. Mmmmhhh ce que j'aime lire ce blog et de voir qu'il y a encore des Suisses qui ne font pas que rever de tour du monde mais vont jusqu'au bout de leur envies.
    C'est un vrai plaisir de lire cette evolution, ces questionnements et de voyager avec vous. Prenez soin de vous et continuez a vous en mettre plein les oreilles, les yeux, les narines et l'estomac (pour ceux qui peuvent... ;-)).

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  7. @ Olivier: tu imagines ? On rentre dans quelques jours, je ne sais pas comment tu te sens quand tu rentres, je me sens partagée, entre le plaisir de retrouver ceux que j'aime et la peine de quitter le voyage et l'ailleurs... je rêve déjà d'autres voyages !! Bises et à bientôt, en Suisse peut-être ?

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  8. coucou ma belle,
    je trouve magnifique ton texte et tes questionnements. c'est tellement vrai: "and you, what are you looking for?"c'est une question que je vais me poser aussi, sérieusement. à mon avis, toute l'essence d'un projet comme le votre se trouve dans des moments comme ça! quelle chance de pouvoir faire des rencontres tout à fait anodines qui te font avancer et réfléchir, on dit que ces personnes sont des anges, venus pour nous faire avancer ; ))! vous embrasse fort tous les 5!

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  9. Quand je rentre? Je suis content de voir mes amis, de retrouver un certain confort ou certaines habitudes (lire le journal au cafe, aller au cinema, etc...). Et puis, gentiment, le voyage et la decouverte me manque. La monotonie et le calme Suisse me lasse et je m'imagine de nouveau dans ces rues pleines d'odeurs, de bruits et de monde. Ces rues qui deviennent soudainement mon chez moi. Et je me demande quand je vais pouvoir repartir...

    J'ai lu recemment sur votre blog que tu te demandais si tu allais redevenir comme avant, restresser pour des details "futiles". Je crois que la reponse est oui. Parce que l'on s'adapte tous a notre quotidien, a notre environnement. Mais voyager, selon moi, permet souvent de prendre un peu du recul. Donc oui, le stress sera la. Mais parfois, penser a ailleurs, a ce que vous avez vecu, te feras voir les choses un peu differemment. Surtout en Suisse, on l'on veut si souvent controller tellement tout ce qui nous entoure.

    Le voyage et l'inconnu sont des drogues fortes, qui ne sont heureusement pas interdites ...

    Je vous souhaite le meilleur retour possible. Oui,c'est difficile a imaginer ;-)

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  10. @ Amy: tout à fait, un ange, deux anges, en fait, en quelques jours, ça fait du bien à la tête :-), je t'embrasse bien fort et te dis à très bientôt, me réjouis de vous revoir
    @ Olivier: merci pour ces quelques lignes, je les relirai dans quelques jours :-))... à très bientôt

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